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ESPACE, CONVERSION, ELECTROMAGNETISME
par Ewen Chardronnet
Art Press, dossier Space Art, févier 2004

Le spatial c'est également un ensemble d'équipements de (télé)communications et radiotélescopes qui sont à la fois banalisés et ignorés. Ces instruments d’observation ne sont pas seulement au service de l’astronomie, de la géophysique ou de la météorologie. Dans l’époque de la domination informationnelle ou l’espace de la communication est un champ de bataille, ces équipements sont également au service de l’observation des mouvements et communications des hommes à des fins stratégiques militaires offensives ou défensives. Des équipements de transmissions et interceptions de signaux qui sont donc encore largement sous contrôle de la défense d’état.
Dans ce contexte l'art spatial rencontre ici l'art des médias, notamment les activistes et les médias tactiques. La communauté des médias tactiques oppose à l’uniformisation des médias de masse une approche démocratisée et non-hiérarchisée de l’utilisation des instruments de communication, internet, ordinateur, radio, télévision, cellulaire, etc, et allie la connaissance des médias de courte et longue distances. Dans ce contexte, de nombreux artistes réalisent des expériences inédites d’art spatial tactique, art du code et de l’outil logiciel, de l’interface, de la transmission et de l’interception, de la localisation et de la conversion.

L’art de la conversion

La conversion est un phénomène bien connu des industries de défense. Celles-ci savent qu’elles ont la nécessité de convertir régulièrement vers le civil une partie de leur activité pour le maintien de l’équilibre démocratique. Un processus qui trouve une illustration dans l’internet, les médias radios et satellites et dans les technologies spatiales. L’artiste de la conversion opère lui à la frontière du militaire et du civil. Il s’agit dans sa démarche de convertir technologies et activités pour en quelque sorte accélérer le processus de conversion, utiliser et montrer les failles du secret militaire.

Un travail exemplaire est l’expérience du collectif Acoustic Space Lab (1) sur le RT32, un radiotélescope de 32 mètres de diamètre située en Lettonie dans une ancienne base militaire secrète du KGB des côtes de la Mer Baltique qui servait autrefois à écouter les communications satellites et radio entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Transféré en 1994 à l’Académie des Sciences de Lettonie, ceci est l’un des rares exemples d’ancienne base militaire secrète transformée en institut de recherche civil pour la science fondamentale et la radioastronomie qui a choisit de travailler pour son développement avec un centre d’art des nouveaux médias, le RIXC de Riga (2). Durant l’été 2001, le RIXC avait organisé un premier symposium Acoustic Space Lab et rassemblé une dizaine de jours 35 participants sur le site du RT32 afin d’explorer les possibilités de l’antenne, à la fois pour une utilisation tactique et un usage artistique. Les néo-zélandais de Radioqualia proposèrent avec leur projet " radioastronomy : listening_stations " de créer une web-radio en radioastronomie et d’installer un " stream live " d'observations astronomiques, une tentative de rendre audible le son des planètes et des étoiles proches (3). L’objectif des artistes et activistes radio slovènes de Projekt Atol fut de réutiliser l’antenne telle qu’elle avait été utilisée dans le passé. A cet effet ils ré-équipèrent l’antenne et l’orientèrent vers des satellites Inmarsat de communication. Ce travail artistique sur la conversion avait pour objectif de poser la base conceptuelle pour un observatoire indépendant des communications radios et satellites. L’artiste slovène Marko Peljhan, créateur de Projekt Atol et également à l’origine des vols pour artistes à la Cité des Etoiles et du laboratoire mobile et auto-suffisant Makrolab (4), propose d’ailleurs avec Dragan Zivadinov de lancer le satellite artistique Noordung (5), une sculpture orbitale et un satellite de communication indépendant. L’idée est de le propulser en convertissant un système de lancement d’un sous-marin militaire russe capable de lancer des fusées de petit modèle jusqu’en orbite. A terme, le radiotélescope RT32 et le Makrolab serviraient ici à transmettre et à recevoir les informations du satellite Noordung.

Ecologie, spectre radio et localisation

Projekt Atol a organisé en plein air, en Lettonie et ailleurs, la performance collective sonore et visuelle " Signal Sever " (6). Les artistes retraitent les différents signaux sonores interceptés sur le spectre radio et le satellite pour la musique et sur la bande numérique de télévision satellite et les outils de visualisation de l’audio pour les projections. Ce que suggère " Signal Sever ! " est que l’art de l’interception nous enseigne qu’aucun lieu sur Terre n’est identique quant aux informations collectées. La localisation a une importance et de là se dégage une poésie in situ de l’environnement électromagnétique du territoire de réception rendu visible et audible.

Le projet " Pollstream " du collectif parisien Hehe questionne la sonorité que pourrait avoir la pollution atmosphérique. Le projet est de développer un logiciel libre qui décode les données de satellites atmosphériques et mesure le CO2, les aérosols et les radiations d’une localisation spécifique, et rend ces données accessibles à des non-spécialistes en les rendant audibles (7). Cet outil signifie que l’on peut matérialiser l’espace invisible des flux de données, qu’on peut lui donner une structure, une poésie et une politique.

Les artistes de la localisation du réseau " locative media " utilisent le GPS et les médias de positionnement (cellulaires, wifi, etc.) et questionnent la grille carcérale planétaire que provoque l’excès de surveillance. Ils créent des logiciels spécifiques et dressent des cartographies culturelles et psychogéographiques de notre environnement technologique humain (8). Le projet " realtime " développé par Esther Polak avec l’aide de la Waag Society cartographie des parcours dans un espace géographique grâce à un logiciel sur PDA (assistant personnel) relié à un GPS. La superposition des parcours redessine une carte de l’espace exploré. (9). Les flâneurs de gpsdrawing.com dessinent dans le paysage grâce à leur GPS. Dessins simples mais en rapport avec le lieu de la déambulation, parfois tridimensionnels lorsqu’il s’agit de vol en avion. Ces expériences d’art de la trajectoire et de la localisation entretiennent une étroite relation avec la géographie culturelle de l’espace exploré. Autant d’expériences de la dérive en longitude et latitude.




(1) http://acoustic.space.re-lab.net
(2) http://www.rixc.lv
(3) http://www.radioqualia.net
(4) http://makrolab.ljudmila.org
(5) http://www.mehatron.org
(6) http://www.rx-tx.org
(7) http://www.hehe.org/pollstream
(8) http://www.locative.org
(9) http://www.waag.org/realtime/

Ewen Chardronnet est l’auteur d’une anthologie sur l’Association des Astronautes Autonomes, " Quitter la gravité " aux Editions de L’Eclat. Il est lauréat du prix Leonardo-Art Outsiders Nouveaux Horizons 2003 pour l’installation " Open Sky " présentée à la Maison Européenne de la Photographie pendant le Festival Art Outsiders en octobre 2003.